Laisser pleurer bébé pour bien dormir : info ou intox ?

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Faut-il laisser pleurer bébé pour espérer dormir un jour ?

Une question que tous les parents se posent et qui divise : « On ne laisse pas pleurer un bébé » s’oppose au « Il faut le laisser pleurer, il fera plus vite ses nuits ».

La question des pleurs et du sommeil fait écho aux représentations et injonctions sociétales actuelles vis-à-vis des parents. Trop de conseils, de lectures, d’avis, pour des parentalités souvent trop théorisées.

Je constate de réels blocages chez les parents sur le simple fait d’évoquer que leur enfant puisse pleurer.

Beaucoup de consultations commencent ainsi : « Nous ne laissons pas pleurer notre enfant ». Une phrase qui résume un choix éducatif, des valeurs, des croyances, mais aussi des peurs.

Comment savoir ce qui est bon pour l’enfant ? Comment se positionner sur cette question des pleurs quand on est parent ? Que signifie « ne pas laisser pleurer » ? Qu’y a-t-il derrière cette question des pleurs ?

Je livre ici mon analyse sur cette question sensible.

Que vous soyez parents, grands-parents, professionnel, l’objectif de cet article est de vous permettre de comprendre les enjeux éducatifs, affectifs et développementaux derrière la question des pleurs de bébé, tout en nuançant certaines idées reçues.

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Pourquoi laissait-on bébé pleurer ?

Le bébé, un être insensible

Cela peut paraître totalement aberrant aujourd’hui, mais il y a quelques générations, l’enfant était perçu comme immature, et donc incapable de ressentir la moindre émotion. S’il pleurait, c’était simplement un réflexe de son système nerveux.

Cette vision du bébé, considéré comme un être purement physiologique et réactif, a persisté pendant une grande partie du 20ᵉ siècle. Elle a influencé les pratiques médicales, psychologiques et éducatives de l’époque. Elle a conduit à des recommandations qui pouvaient être préjudiciables au développement émotionnel et à l’attachement sécurisant de l’enfant.

Imaginer que l’on a pu opérer des enfants à cœur ouvert sans anesthésie nous saisit d’effroi aujourd’hui…

Des figures médicales influentes de l’époque, comme le pédiatre américain Luther Emmett Holt, prônaient des méthodes d’éducation infantile très strictes, où les besoins émotionnels de l’enfant étaient largement ignorés. Son manuel « The Care and Feeding of Children » (1894) a été une référence pendant des décennies et véhiculait des idées telles que l’importance de réguler strictement les horaires d’alimentation et de sommeil du bébé, sans tenir compte de ses signaux individuels.

Un exemple personnel : ma grand-mère, âgée de 95 ans, a pu me raconter qu’à la maternité, on donnait des horaires aux jeunes mères pour s’occuper de leur bébé. Et si le bébé avait faim avant l’heure indiquée, on le laissait hurler dans son lit jusqu’à ce que ce soit le bon moment.

Bébé, un manipulateur

Autre idée reçue, héritée d’un passé pas si lointain : le bébé fait exprès de pleurer, et manipule ses parents qui se doivent de ne surtout pas tomber dans le panneau en lui donnant trop d’attention. Les pleurs du bébé touchent donc dès la naissance à la question d’autorité parentale. Pour être un bon parent, il fallait ne pas faillir dans son rôle d’éducateur.

Cette vision du bébé manipulateur était étroitement liée à la conception de l’enfant au 19ᵉ siècle et au début du 20ᵉ siècle. À cette époque, l’enfant était souvent considéré comme un être inférieur, un adulte en miniature, dépourvu de la capacité de raisonner et de ressentir des émotions complexes. Cette perspective influençait grandement les pratiques éducatives, qui étaient souvent centrées sur la discipline, l’obéissance et le contrôle.

Dans les ouvrages de pédiatrie et de puériculture du début du 20ᵉ siècle, certains médecins préconisaient de ne pas prendre systématiquement les bébés dans les bras lorsqu’ils pleuraient, afin de ne pas les rendre capricieux.

Les discours médicaux et psychologiques de l’époque contribuaient également à renforcer cette vision de l’enfant. Certains médecins considéraient les pleurs des enfants comme un signe de faiblesse ou de mauvaise santé, qu’il fallait réprimer.

L’autorité parentale toute-puissante

Au 19ᵉ siècle, début 20è, l’autorité parentale était souvent exercée de manière autoritaire et verticale. Le père, en particulier, était considéré comme le chef de famille, doté d’un pouvoir absolu sur ses enfants. Les châtiments corporels étaient courants et considérés comme un moyen efficace de corriger les comportements indésirables. Dans ce contexte, les pleurs du bébé étaient souvent interprétés comme une tentative de défier l’autorité parentale, une ruse pour obtenir de l’attention ou satisfaire un caprice. Cette vision est notamment reflétée dans les manuels d’éducation de l’époque, qui recommandaient souvent de ne pas céder aux pleurs des enfants pour ne pas renforcer de mauvais comportements.

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Laisser pleurer a des conséquences pour le bébé

L’enfant est un être sensible : scoop !

Cette conception autoritaire de l’éducation a persisté dans une certaine mesure jusqu’au début du 20ᵉ siècle, avant de commencer à évoluer sous l’influence des travaux de psychologues et de pédagogues comme Sigmund Freud, Jean Piaget et Maria Montessori, qui ont mis en évidence l’importance des besoins émotionnels et du développement de l’enfant.

A partir du milieu du 20ᵉ siècle, de nouvelles recherches et théories ont commencé à remettre en question cette conception du bébé. Les travaux de John Bowlby sur l’attachement, par exemple, ont mis en évidence l’importance cruciale des interactions précoces entre le bébé et ses parents pour le développement de sa sécurité émotionnelle et de sa capacité à réguler ses émotions.

Dolto, en pionnière, a révolutionné la considération de l’enfant. Ce dernier, perçu comme un être immature, sorte de « pâte à modeler » se pliant aux volontés de l’adulte tout-puissant, fut enfin considéré comme une personne à part entière.

Les neurosciences et les recherches sur la vie émotionnelle des bébés ont permis de considérer enfin l’enfant comme un être humain sensible, doté d’émotions. Le dialogue s’installe entre adultes et enfants, car l’enfant peut comprendre… quelle découverte !

Les dangers de laisser pleurer bébé : l’étude de référence

L’étude de Wendy Middlemiss, réalisée en 2010, a grandement participé à démontrer le rôle délétère du laisser pleurer. Cette étude, intitulée « Asynchrony of mother–infant hypothalamic–pituitary–adrenal axis activity following extinction of infant crying responses to sleep », s’est déroulée en Nouvelle-Zélande sur 25 nourrissons de 4 à 10 mois et leurs mères. Durant trois nuits, les bébés ont été séparés de leurs mamans à partir du coucher du soir jusqu’au matin. Les mères n’avaient aucun contact la nuit avec leurs bébés et étaient totalement isolées phoniquement, donc n’entendaient pas les pleurs de leurs bébés. Les bébés devaient trouver leurs propres ressources pour se rendormir en autonomie.

Ce qui, avouons-le, représente un contexte particulièrement stressant et exceptionnel, tant pour le bébé que pour la mère. Les taux de cortisol salivaire (hormone de la vigilance et du stress) des bébés et des mères ont été mesurés avant le coucher, puis 20 min après l’endormissement, la première et la dernière nuit.

Sans trop d’étonnement, les résultats ont démontré, entre autres, que les bébés avaient des taux élevés de cortisol au moment du coucher et après l’endormissement.

Nous avons enfin compris qu’un abandon du bébé à ses pleurs générait des niveaux trop importants de stress, tant pour l’enfant que pour sa mère (père).

Pleurs et parentalité : un enjeu de taille

Pleurs de bébé : un tabou sociétal

Mais cette nouvelle connaissance de l’impact des pleurs sur l’état émotionnel et physique de l’enfant, s’est peu à peu transformée en injonction. Du « il ne faut pas laisser sans réponse un bébé qui appelle » est apparu un extrême dans la pensée collective : « il ne faut jamais que le bébé pleure, au risque de générer un excès de cortisol, délétère pour le développement de son cerveau. »

La nuance se situe dans le « laisser » pleurer et fait toute la différence. Remettons les éléments dans leur contexte. À ce jour, la grande majorité des parents sont sensibilisés au fait que le bébé a des besoins auxquels il faut répondre. Nous ne sommes plus du tout dans le même contexte éducatif qu’avant. Ce sont aujourd’hui dans des situations bien particulières d’expositions répétées aux pleurs, sans affect parental, et d’abandon du bébé à ses pleurs, que l’on peut observer les effets délétères du cortisol à long terme sur le cerveau de l’enfant, ou encore en cas de carences affectives, de négligence ou de maltraitance intrafamiliales.

Je le répète très souvent aux parents que je rencontre : un enfant aimé, cajolé, entouré de parents attentifs et aimants ne peut pas souffrir de ce type de lésions.

Tout simplement parce qu’un parent empathique et à l’écoute n’abandonnera pas son bébé dans une situation de stress prolongé. A condition tout de même que le parent reste connecté à ce qu’il ressent. Chose extrêmement difficile de nos jours avec la multiplicité de conseils autour du sommeil….J’en fais un combat personnel : découvrez mon article au sujet des méthodes visant à « faire dormir votre enfant »

Parents à bout : quand la peur des pleurs devient source d’épuisement

Cette peur des pleurs actuelle induit une forme de maltraitance parentale. Lors d’une de mes conférences, une maman a pris la parole en expliquant que son enfant de 18 mois appelait toutes les nuits. Lorsque le papa intervenait, il se rendormait. Lorsque c’était elle, il fallait qu’elle reste debout et, je cite, « n’avait pas le droit de s’asseoir car sinon son enfant pleurait ». Un autre papa expliquait que sa fille de 3 ans appelait ses parents à tour de rôle la nuit en imposant que l’un ou l’autre se fâche pour qu’elle puisse se rendormir…

Les pleurs du bébé et de l’enfant sont aujourd’hui des tabous de l’éducation dite positive et du maternage proximal dans ses extrêmes. Les conséquences traumatisantes de ces injonctions sont bel et bien observables, mais du côté des parents. Nous assistons à un phénomène d’hyperparentalité, loin de la mère (aka du parent) suffisamment bonne que décrivait Winnicott.

Le fait que l’enfant puisse pleurer est tellement angoissant pour les parents qu’ils n’ont même plus les ressources pour prendre soin d’eux-mêmes. C’est extrêmement violent d’assister à cette si grande vulnérabilité de la part de parents, soumis aux injonctions d’une société qui oublie l’essentiel : prendre aussi soin des parents !

Nous sommes dans un schéma inverse d’il y a 50 ans. D’un modèle éducatif basé sur la toute-puissance parentale, nous touchons à des dérives éducatives où l’enfant, malgré lui, devient tout-puissant. Je dis bien malgré lui, car ni les enfants ni les parents ne sont responsables de ces dérives.

L’influence de l’histoire parentale sur la réponse aux pleurs de bébé

Autre élément important dans la gestion des pleurs, l’histoire personnelle des parents. Notamment leurs propres expériences d’enfance et la manière dont ils ont été accompagnés dans l’expression de leurs émotions, a un impact significatif sur leur façon de réagir aux pleurs de leur bébé. C’est passionnant et d’observer cela en consultation sommeil.

Les pleurs du bébé peuvent résonner avec des expériences émotionnelles non résolues chez les parents. Par exemple, un parent qui a été souvent ignoré ou laissé seul lorsqu’il pleurait étant enfant peut projeter ses propres émotions de détresse et d’abandon sur son bébé qui pleure, ce qui peut entraîner une réponse excessive ou inadéquate : « j’ai manqué d’attention, mon bébé n’en manquera jamais ». Que ce soit de façon consciente ou inconsciente.

Certains parents peuvent alors adopter des attitudes de compensation. Par exemple, un parent qui a grandi dans un environnement où les émotions étaient niées peut se sentir obligé de répondre immédiatement à chaque pleur de son bébé pour éviter de reproduire ce qu’il a vécu. Bien que cette intention soit louable, elle peut parfois soumettre à l’enfant une impression de danger alors qu’il n’y en a pas réellement.

Les émotions des parents ne sont pas de simples réactions aux pleurs du bébé, mais des informations précieuses qui guident leurs comportements et leurs interactions. Découvrez vite mon article sur les angoisses de séparations ici .

Il n’est pas question de culpabiliser les parents, mais de leur permettre de comprendre leurs propres histoires. Devenir parent fait parfois ressurgir des blessures d’enfance enfouies. En prendre soin et les reconnaître sera une opportunité d’avancer dans la vie avec plus de confiance et d’apaisement pour tout le monde.

L’objectif aujourd’hui est de sensibiliser les parents à l’importance de nuancer la réponse aux pleurs, pour y répondre au mieux.

Les pleurs du nourrisson : un langage naturel et nécessaire

Les études montrent des périodes de pleurs plus ou moins intenses dans le développement de l’enfant. Le nourrisson peut pleurer jusqu’à 2 heures par jour les premiers mois. C’est une façon pour lui d’exprimer la faim, l’inconfort, la fatigue, un besoin de décharger, un besoin d’être changé, câliné…

Les pleurs chez le tout-petit ont également un rôle très important dans l’activation du lien parent-enfant. Éric BINET résume : « les pleurs sont peut-être tout simplement et principalement apparus pour obtenir les bras, et pour libérer l’ocytocine, cet élixir de l’attachement ».

Certains bébés pleurent plus que d’autres, c’est aussi une histoire de nature, d’histoire, de contexte et de tempérament. Ne comparons pas les bébés. Les pleurs sont des moyens d’expression chez l’être humain, et ils n’ont rien d’anormal. Il serait étonnant d’interdire à un adulte de pleurer sous prétexte que ce n’est pas « bon » pour lui. Quoi que cela nous amène à questionner la relation aux émotions dans notre société…

Les pleurs ont un rôle extrêmement positif dans l’autorégulation de l’organisme. Éric BINET, à la suite d’Aletha SOLTER, explique : « en suivant les hypothèses [du Docteur William H. FREY], pleurer serait un moyen pour l’organisme de se libérer de toxines au même titre qu’uriner, expirer, déféquer, transpirer. Dans le cas présent, celui du cycle stress-détente, les toxines dans les pleurs délivrent l’organisme d’hormones, de neurotransmetteurs en facilitant l’activation du système nerveux parasympathique ».

Il est essentiel de comprendre que les pleurs de l’enfant ne sont pas un acte de manipulation ou une simple nuisance, mais plutôt une forme de communication primordiale qui s’inscrit dans un système relationnel complexe. Pour en savoir plus, lisez mon article « bébé qui pleure pour dormir : comment l’apaiser ? »

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Comment accompagner les pleurs de bébé : les vrais conseils qui marchent

Si les pleurs font partie de la vie d’un bébé, il est important de se poser la question du rôle de l’adulte pour les apaiser. L’essentiel est de développer une écoute attentive et une observation fine de son bébé, afin de comprendre ce qu’il cherche à exprimer à travers ses pleurs. Accepter, accompagner, écouter, sans à tout prix les faire cesser. Plus facile à dire qu’à faire me direz vous. Mais c’est le processus même de parentalité : apprendre par l’expérience !

Tous les pleurs ne nécessitent pas la même réponse. Parfois, une simple présence attentive et rassurante suffit à apaiser le bébé, tandis que d’autres fois, il aura besoin d’être pris dans les bras, nourri ou changé. Si votre bébé a du mal à trouver un sommeil apaisé, et que vous aimeriez qu’il s’endorme de façon plus apaisée, lisez ceci.

L’essentiel est de faire de son mieux avec ses ressources du moment. Tout en communiquant. Car les bébés sont capables de comprendre beaucoup de choses ! En tant que parent, vous êtes la personne qui connaît le mieux votre bébé. Faites confiance à votre intuition et à vos émotions, car elles sont de précieuses indications.

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